En montant de Saint Zacharie, au pont de la Taurelle, vous prendrez une route de terre à gauche de la source, et si vous connaissez le chemin, il vous conduira à la Mantelette.
Ce mas, bâti au sommet d’une colline, domine avec son cyprès les contreforts de la Sainte Baume.
Il est à moitié en ruine, mal entretenu par le diocèse de Marseille qui le prête à ses fidèles pour des fêtes familiales.
Cette vieille bâtisse a deux particularités.
D’abord, la proximité d’une source. Ce qui est étonnant, c’est sa présence au sommet d’une colline. Cette curiosité, ainsi que l’eau, affirme que cette habitation existe depuis bien long temps.
Puis, une bergerie abandonnée qui fait office de cave.
Un œil scrutateur peut découvrir un autel au fond de cette chapelle oubliée, si une main curieuse chasse la poussière accumulée, une mosaïque révèlera une croix templière.
On aurait envie de dire que ce lieu a toujours été magique. Que nos ancêtres, qui voulaient, certes, voir venir et pouvoir se désaltérer, ont été impressionnés par la force qui se dégage de cet endroit.
Les chênes et les pins qui enserrent les restanques plantées d’oliviers frémissent, les pierres sèches craquent au soleil, ceux qui savent écouter ces chants se souviennent.
Cette terre était ingrate. Le soleil sans pitié. Il était plus facile ici de faire pousser des cailloux que de récolter un peu de blé.
Satan depuis des siècles arpentait le domaine de la sainte Baume. On lui doit, ce paysage lunaire, ce climat qui oscille entre le four et la glacière, les argéras.
Il y avait logé sa putain préférée. Les crédules l’avaient vite élevée à la sainteté ce qui l’avait réjoui au plus haut point.
Les oratoires qui montent des villages à la grotte, diminuent de taille en fonction de l’éloignement de la vallée : la foi des villageois leur avait recommandé de porter plus de vin que de pierres.
Une multitude de dévots, de marchands, de vendeurs d’amulettes de grigris et d’indulgences, de charbonniers, de minotiers de cades, de soi-disant compagnons du devoir, de mineurs, de faiseurs de glace trafiquaient sous la houlette des moines qui régissaient et pressuraient cette foire sous la falaise qui abritait la fameuse grotte sacrée.
Ce bordel perdurait depuis des siècles, Satan n’avait fait que prendre la suite au changement de superstition.
À l’inverse de ce florissant commerce, les fermes des hauts tombaient en ruines, les oliviers se racornissaient sur leurs restanques envahies de chênes kermès, les puits se bouchaient, les sources se perdaient dans les mémoires.
Il ne restait plus aux renards et aux blaireaux qu’à manger des ammonites.
Quelques mûriers chéris des magnanarelles se tordaient, se fendaient le long des chemins fantomatiques qui ne menaient à rien. L’air lui-même était devenu coupant, la lumière crue, le vent cruel.
Les hommes en avaient cure, seul comptait l’or amassé.
Notre homme avait cru que son courage et son travail arriveraient à faire vivre le mas, mais tout s’acharnait à détruire ses espoirs.
Sa femme, lui et ses bêtes, dépérissaient en haut de leurs collines de rêve.
Petit à petit, son esprit s’éloignait de la réalité et de son corps.
Il ne voyait plus la beauté des cistus (albidus), la peine l’avait rendu aveugle au rayonnement de sa femme et sourd à ses encouragements.
Le soir, il passait de longs moments, prostré, à maudire son sort, la terre, Dieu.
Un jour de grand soleil, dans le cri des cigales, il comprit que la rédemption des siens et de ses terres devait s’acheter par un sacrifice. Il prit la folle résolution de partir en terre Sainte sauver le tombeau du Christ.
Tout s’essaya à le retenir : sa femme, les oliviers, le mas, les chèvres : rien ni fi.
Une grande quiétude s’installa en lui, certain d’avoir compris et trouvé la vérité.